écrans urbains #6
ville architecture paysage au cinéma

«Assurance sur la mort» de Billy Wilder «Assurance sur la mort» de Billy Wilder /
«Assurance sur la mort» de Billy Wilder «Assurance sur la mort» de Billy Wilder /
"Los Angeles Plays Itself" de Thom Andersen, 2023 /
"Los Angeles Plays Itself" de Thom Andersen, 2023 /

arc en rêve centre d’architecture, propose
le cycle de films écrans urbains ville architecture paysage.
Organisé en partenariat avec le cinéma Utopia
pour explorer les liens entre architecture et cinéma.

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mardi 23 janvier 2024, 20:00
Assurance sur la mort de Billy Wilder
États-Unis, 1943, n&b, 103′, VOSTFR

 

Assurance sur la mort : le décor de la corrida

Le film de Billy Wilder, Assurance sur la mort, de 1944, raconte une histoire d’amants meurtriers qui commence comme une plaisanterie et se termine par le sacro-saint châtiment des assassins adultères. L’adage à peine caché de ce film noir, celui du crime qui ne paierait pas, s’inscrit dans la chair des amants maudits.

Le drame se met en place par une joute de mots d’esprit, variante californienne du marivaudage. Les deux inconnus échangent des répliques, comme pour se mesurer l’un à l’autre. Une fille séduisante et entreprenante affronte un gars avec du répondant, se laissant gentiment entraîner dans un plan d’assassinat de son mari tyrannique. Le plan est complexe, presque farfelu, car il vise à décrocher le jackpot. Celui d’un cas si rare qu’il donne droit à une double indemnisation : l’accident ferroviaire.

La présence de l’architecture dans ce film est discrète mais déterminante. Si les nombreux extérieurs nocturnes laissent entrevoir la ville de Los Angeles dans les années 1940, c’est la maison du couple, de style néocolonial mexicain, qui retient l’attention. La maison est suffisamment centrale pour que Wilder décide d’en reproduire les principales caractéristiques dans le décor où se jouent les scènes d’intérieur.

Cette fidélité est probablement due au fait que la villa ment autant que sa propriétaire.

La maison incarne à la fois les relations trompeuses qui structurent l’intrigue et le rapport halluciné à l’histoire d’une ville. Le style mexicain est à la réalité de Los Angeles ce que le personnage de Zorro est à l’histoire de la Californie : un récit enjolivé reposant sur une fable inexistante, inventée.

Le tragique de la situation est que ce faux décor servira au dénouement du crime. L’artificialité d’un cadre menteur permettra aux personnages de rencontrer leur réalité. Comme dans une tragédie antique, l’artifice du dispositif scénique est le lieu même de la révélation de la vérité. Dans ce schéma brechtien, le faux, capable de se dissimuler dans la vrai, perd ses pouvoirs furtifs dès lors qu’il est placé dans un contexte aussi menteur que lui. Quelle que soit la perfection du crime, quelque chose au fond persiste à en dénoncer l’existence.

Outre ce jeu de forme et de contenu, Assurance sur la mort est une sorte de film matriciel. Un acte de langage qui donne corps à des stéréotypes, comme ceux de la joute verbale des amants lors de leur première rencontre. Ces clichés referont surface décennie après décennie dans les fictions cinématographiques faisant de Los Angeles la capitale de l’adultère, comme ne manque pas de le souligner Andersen dans son film documentaire Los Angeles Plays Itself.

Christophe Catsaros

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mardi 7 novembre 2023, 20:00
Los Angeles Plays Itself de Thom Andersen
États-Unis, 2003, n&b et couleur, 2h50 avec entracte, VOSTFR
Séance proposée par l’association Monoquini

Présentation du film par Bertrand Grimault, programmateur indépendant et Christophe Catsaros, responsable des éditions d’arc en rêve.

 

Los Angeles : une icône. La « ville-monde », la cité des anges, usine à rêves et creuset de la culture de masse mondiale alimenté par Disneyland et Hollywood, Los Angeles qui doit son développement à l’industrie du cinéma et dont l’image nous est devenue familière au travers de plus d’un siècle de films.

Longtemps resté invisible pour des questions de droits, du fait des quelque 200 extraits filmiques qui le composent, Los Angeles Plays Itself est un essai-fleuve de près de trois heures qui se présente comme un plaidoyer en faveur d’une ville, de son architecture et de ses habitants, que le cinéma hollywoodien aurait maltraité, négligé et plus rarement célébré. C’est-à-dire que Thom Andersen, s’il est né à Chicago, nourrit une profonde affection à l’égard de sa ville adoptive, berceau du cinéma comme du rock’n’roll. Lui-même cinéaste, critique et enseignant en cinéma, Andersen est aussi connu pour être un amateur d’architecture moderniste et on sait qu’à ce titre Los Angeles est un musée à ciel ouvert. Dans la première partie intitulée « La ville comme décor », il est ainsi largement question des créations de Frank Lloyd Wright, Richard Neutra, John Lautner, Pierre Koenig et de bâtiments emblématiques tels que le Bradbury Building ou la gare ferroviaire d’Union Station – lieux d’une longue tradition cinématographique traversés par plusieurs générations d’acteurs et quantités de fictions – autant que de l’architecture vernaculaire et de l’esthétique Doo-Woop toute en paraboles des motels, coffee shops et stations services, contemporaine de la conquête spatiale et emblématique d’un imaginaire collectif, que l’appétit des promoteurs immobiliers a tendance à faire progressivement disparaître du paysage au profit de gratte-ciel de verre et d’acier. La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur des mortels, a écrit Baudelaire. En effet, cette première partie est surtout une élégie dédiée à un monde disparu dont le cinéma a gardé une trace, confirmant ainsi sa valeur documentaire : transformation incessante, disparition des quartiers populaires, désertification du centre ville, gentrification des interstices défrichés par des populations déclassées… Bunker Hill et le funiculaire de Angel’s Flight ne sont plus que des souvenirs ravivés par les romans de John Fante et The Exiles, le film que Kent MacKenzie réalisa en 1961 sur une communauté d’Amérindiens exilés dans la mégapole.

La deuxième partie, « La ville comme personnage », analyse le rapport conscient des réalisateurs à Los Angeles, qui ont en fait une entité quasi organique – un paysage qui devient un personnage – depuis Assurance sur la mort de Billy Wilder (1944), où la ville semble inspirer les crimes que ses protagonistes commettent, jusqu’à Model Shop de Jacques Demy (1969), où un personnage, en contradiction avec le sentiment général, déclare que la ville est « pure poésie ».

Enfin, la troisième partie, « La ville comme sujet », s’intéresse à des films qui, tels Chinatown de Roman Polanski (1974), se sont penchés sur l’histoire même de Los Angeles, dans ses replis les plus secrets et les plus inavouables, alimentant les légendes urbaines. En guise de conclusion, Los Angeles Plays Itself revient sur des productions indépendantes à petit budget des années 70 et 80 réalisées dans la tradition du néoréalisme et montrant le quotidien de communautés peu représentées ou caricaturées dans le cinéma dominant, révélant ainsi une dimension sociale souvent occultée par les clichés d’une Californie radieuse.

Bertrand Grimault

 

cycle écrans urbains ville architecture paysage

projections + débats

cycle proposé dans le cadre des 60 ans du jumelage entre Bordeaux et Los Angeles

au cinéma Utopia, 5 place Camille Julian, Bordeaux
droit d’entrée : 7 €

 

mardi 7 novembre 2023, 20:00
Los Angeles Plays Itself de Thom Andersen, 2003 (170′)

mardi 23 janvier 2024, 20:00
Assurance sur la mort de Billy Wilder, 1944 (103′)

jeudi 21 mars 2024, 20:00
Chinatown de Roman Polanski, 1974 (131′)

mardi 11 juin 2024, 20:00
The Long Goodbye de Robert Altman, 1973 (112′)

 

 

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voir la programmation précédente :

écrans urbains #1

écrans urbains #2

écrans urbains #3

écrans urbains #4

écrans urbains #5